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Rosa Bonheur, première femme artiste à recevoir la Légion d’honneur
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Créé le : , par Héloïse Piednoir
À cette époque, on aurait pu compter sur les doigts les femmes qui, depuis l'institution de l’ordre, avaient été l'objet d’une pareille distinction.❞
Créée sous le Consulat par Napoléon Bonaparte en 1802, la Légion d’honneur est la plus haute distinction honorifique française. Symbolisée par une croix en forme d’étoile, la Légion d’honneur récompense les actions de grandes valeurs qui contribuent au rayonnement, à la défense et au développement de la France. Le mérite doit être personnel quel que soit son domaine d’expression : militaire, artistique, sportif…
À noter, les seules conditions pour la recevoir c’est avoir la nationalité française et avoir un casier judiciaire vierge ainsi qu’une « bonne moralité », c’est-à-dire un bon comportement dans le respect des droits et des libertés de la Constitution. D’ailleurs, sa devise « Honneur et Patrie » le rappelle assez bien.
« À cette époque, on aurait pu compter sur les doigts les femmes qui, depuis l'institution de l’ordre, avaient été l'objet d’une pareille distinction, encore était-ce pour services rendus à l’armée », raconte Rosa Bonheur dans sa biographie écrite par son amie Anna Klumpke, Rosa Bonheur : sa vie, son œuvre et publiée en 1909.
En effet, comme l'indique le site officiel de la Légion d'Honneur, avant que Rosa Bonheur reçoive cette distinction en 1865, seule une femme est récompensée : Sœur Rosalie (1786-1856) qui aida les pauvres durant toute sa vie.
On décore de la Légion d’honneur des religieuses et des vivandières, pourquoi donc exclure de la même récompense les femmes artistes [...] ?❞
Eugène de Mirecourt a publié en 1856 une courte monographie intitulée Rosa Bonheur conservée par la Bibliothèque nationale de France. Connu à son époque pour sa plume acerbe couvrant de ridicule des personnalités publiques dans sa Galerie des contemporains, le journaliste dresse pourtant ici un portrait élogieux de l’artiste.
À la fin de l’ouvrage, l'écrivain et fondateur du journal Les Contemporains, s’interpelle : « Après l’Exposition universelle, on acheta la toile de la Fenaison pour le Luxembourg, et Rosa obtint une médaille de première classe, "l’auteur du tableau ne pouvant pas être décoré", disait le rapport. Cette impossibilité est de celles qui nous choquent. »
Eugène de Mirecourt poursuit : « On décore de la Légion d’honneur des religieuses et des vivandières, pourquoi donc exclure de la même récompense les femmes artistes qui ont, comme notre héroïne, un talent si incontestable et surtout une vie si pure, un caractère si digne, une histoire si féconde en nobles actions, en bienfaisance et en vertu ? Que le pouvoir y songe et reste conséquent avec lui-même. Le génie n’a point de sexe. »
Cet ouvrage n’a pas d’effets, du moins immédiats, puisqu’il faut attendre une dizaine d’années pour que Rosa Bonheur reçoive la Légion d’honneur.
Le récit du jour de la remise de la Légion d’honneur par l’impératrice Eugénie est raconté par Rosa Bonheur elle-même dans Rosa Bonheur : sa vie, son œuvre. L’abondance des détails et le réalisme de son témoignage sont saisissants.
En juin 1865, l’impératrice Eugénie se rend une nouvelle fois au château de Rosa Bonheur, à la grande surprise de celle-ci qui peint à l’extérieur habillée dans son costume de travail.
« J’étais dans le jardin, et j'eus tout juste le temps de rentrer et de dissimuler mes vêtements masculins », précise Rosa Bonheur qui ne voulait pas paraître devant l’impératrice en pantalon, étant interdit aux femmes à l’époque.
Eugénie vient à sa rencontre et lui annonce sa nomination de chevalier dans l’ordre impérial de la Légion d’honneur. En ouvrant l’écrin, Eugénie remet la croix d’or à Rosa Bonheur qui pose un genou au sol, chez elle à Thomery.
Enfin, vous voilà chevalier. Je suis tout heureuse d'être la marraine de la première femme artiste qui reçoive cette haute distinction. J’ai voulu que le dernier acte de ma régence fût consacré à montrer qu’à mes yeux le génie n’a pas de sexe.❞
Rosa Bonheur incarne déjà l'émancipation des femmes. Elle est récompensée pour son talent artistique qui a également contribué au rayonnement de la France au-delà de ses frontières.
Le bonheur de l'artiste est alors immense : « La souveraine se leva pour se retirer et je restai confondue de l'honneur qui venait de m'être fait. Quand l’impératrice fut remontée dans sa calèche et que tout le cortège eût disparu dans un nuage de poussière, Nathalie, la bonne mère Micas et moi, nous tombâmes dans les bras les unes des autres, en versant des larmes de joie », raconte Rosa Bonheur.
Habituellement, c’est le grand maître de l'ordre national de la Légion d'honneur qui remet cette distinction. Mais Napoléon III étant en déplacement en Algérie à ce moment-là, il autorisa l’impératrice Eugénie, en régence, à remettre en main propre la Légion d’honneur à Rosa Bonheur.
La nomination de Rosa Bonheur est inscrite dans un décret signé de l’impératrice et publié dans Le Moniteur universel, « journal officiel de l’Empire français », le 11 juin 1865, à retrouver sur Retronews, le site de presse de la Bibliothèque nationale de France.
Trente ans après cet évènement, dorénavant sous la IIIe République, le président Sadi Carnot la promeut officière de la Légion d'honneur en 1894. Rosa Bonheur est ainsi la première femme à accéder à ce titre honorifique.